La journée d'un riche romain

LA JOURNEE D'UN RICHE ROMAIN

L'Histoire par le récit

par J. LE POEZAT-GUIGNER

(origine : Au service de l'école - Le Monde Romain)

L'Empire romain

Jules César, le vainqueur des Gaules, avait conçu un projet grandiose. Il voulait unifier le monde connu, en faire un immense empire dont Rome serait la capitale et lui le souverain. Mais César fut assassiné et c'est son neveu, Auguste qui mit à exécution ses desseins.
Auguste, en effet, supprima la République Romaine, il devint Empereur, fut chef des armées et de la religion, et gouverneur de toutes les provinces. Tout lui obéissait. Sous son règne et ceux de ses successeurs, la paix romaine régna dans l'immense empire qui, en plus de l'Egypte, propriété personnelle de l'empereur, comprenait l'Afrique du Nord, la Palestine, la Syrie, l'Asie Mineure, la Grèce, l'Italie, une partie de l'Allemagne, la Gaule, l'Angleterre et l'Espagne. Une armée permanente de soldats de métier, très largement payés, veillait aux frontières. Du Sahara au Danube et au Rhin, de l'Atlantique au désert de Syrie, de magnifiques villes romaines attestaient la puissance de Rome. D'immenses fortunes s'étaient édifiées après les guerres civiles. Voyons ce qu'était la journée d'un riche Romain.

Le luxe de la maison

En l'an 178 de notre ère, le sénateur Varus s'éveille dans sa splendide maison de Rome. Il sort des riches couvertures qui recouvrent son lit orné de pieds de bronze sculptés et entouré de tapis précieux. Il se rend dans la cour centrale de son palais, entourée de colonnes de marbre et s'assoit près du bassin, parmi les parterres de fleurs. Ses nombreux esclaves sont déjà au travail. Les uns balaient le sol recouvert de mosaïques de marbre ou frottent les colonnes sculptées, les vases précieux, les statues de bronze imitées de l'art grec ; d'autres époussettent les magnifiques peintures murales aux vives couleurs. On entend le même remue-ménage dans les chambres, dans les salles à manger d'été et d'hiver, dans les salons et les bibliothèques.
Voici le tonsor, son rasoir de fer à la main.
« Prends garde, maudit esclave, crie le maître, de ne pas m'écorcher la joue... Et toi, là-bas, fais attention à ce vase d'argent ciselé. Mais approche : je ne te connais pas. A quel groupe de mes esclaves appartiens-tu ?
- Au trentième, seigneur.
- T'ai-je acheté ou es-tu né dans ma maison ?
- Tu m'a acheté, seigneur, avec un lot de Syriens, au marché situé près du temple de Rome et d'Auguste.
- Eh bien, travaille ; sinon, je t'enverrai dans une de mes fermes à la campagne et, par Jupiter, tu regretteras la maison.
Attention, tonsor ! Quel supplice de se faire raser ! Depuis que nous avons conquis la Grèce nous l'imitons en tout ; quelle idée de renoncer au port de la barbe ! Ah ! que le bouc est intelligent, lui qui garde la sienne !
Maintenant, frise ma chevelure et ne me brûle pas ! As-tu préparé les parfums ? »
Puis arrivent l'intendant et des esclaves écrivains munis de tablettes de cire. Varus leur dicte des ordres pour ses fermiers de l'Afrique du Nord dont il est un des six propriétaires, et pour les capitaines de ses grands vaisseaux dont certains atteignent cinquante mètres de long et peuvent transporter plus de mille deux cents passagers.
Un serviteur le drape dans sa toge, et voici que commence le défilé des « clients ». Tous les citoyens qui se sont mis sous la protection de Varus viennent ainsi le saluer chaque matin et les plus pauvres reçoivent pour cette visite, une pièce d'argent ou un peu de nourriture.
Un hurlement retentit dans une chambre ; c'est l'épouse du maître qui vient de fracasser un miroir sur la tête d'une esclave maladroite.

La ville

Devant la porte, dix esclaves syriens, choisis pour leur haute taille, attendent Varus. Celui-ci monte dans sa litière et les porteurs l'enlèvent sur leurs épaules.
Le spectacle de Rome est prodigieux. La ville compte douze cent mille habitants dont un tiers d'esclaves, tandis qu'un autre tiers vit de la charité de l'Etat. Les rues, dont la longueur totale atteint quatre vingt cinq kilomètres, sont pleines de monde.
Les porteurs avancent avec peine à travers la cohue de piétons, de cavaliers, de chaises à porteurs. Devant les hautes maisons, les barbiers opèrent en plein air. Des femmes aux robes multicolores et aux joues fardées s'arrêtent aux boutiques des parfumeurs. Les plus riches sont vêtues de cotonnades des Indes ou de soie de Chine. Les hurlements des écoliers que l'on fouette, se mêlent aux cris des chaudronniers, aux appels des cabaretiers et des mendiants.
Voici un enterrement avec son cortège de pleureuses et de joueurs de flûte. Souvent la litière, est arrêtée par des attroupements. Ce sont des badauds qui lisent une affiche électorale, qui entourent un charmeur de serpents ou un nouveau-né abandonné ; c'est un poète qui déclame ses vers en public ou un marchand d'esclaves qui vante sa marchandise.
« Que serait-ce, pense Varus, si le divin César n'avait interdit la circulation des chariots du lever au coucher du soleil . »
Après avoir longé le Grand Cirque dans lequel trois cent mille spectateurs peuvent suivre les courses des chars, où se ruinent souvent les parieurs malchanceux, la litière passe devant le palais aux vingt mille esclaves de l'empereur Marc-Aurèle. C'est le dernier de ces bons empereurs qu'on appela Antonins. Marc-Aurèle s'efforça d'adoucir le sort des esclaves et des enfants pauvres. En ce moment, il se prépare à partir pour la frontière du Danube où les Barbares se font menaçants.
Varus passe, à sa banque régler des affaires avec quelques sénateurs, il discute un moment au Forum, couvert d'une forêt de temples. Il achète deux livres nouveaux. Ce sont de longues bandes de. parchemin que l'on déroule au fur et à mesure de la lecture et qui sont enfermées dans des étuis cylindriques. Il s'arrête ensuite aux Grandes Halles créées par 1'empereur Trajan et que surplombe une splendide colonne de marbre haute de quarante mètres.

Rome, centre du monde

De là, on domine le Champ de Mars où quelques cohortes de la garde impériale manoeuvrent devant une foule qui remplit les jardins et les portiques. Plus loin, Varus voit la plupart des deux cent cinquante châteaux d'eau de la ville. Il aperçoit quelques-uns des quatorze aqueducs qui amènent à Rome l'eau des montagnes et dont l'un mesure plus de quatre-vingts kilomètres. Il aperçoit plusieurs des trente sept portes qui percent 1'enceinte, longue de plus de vingt kilomètres.
Varus circule sur le marché. Toutes les professions y sont représentées : pâtissiers, confiseurs cabaretiers, jardiniers, pêcheurs et marchands de poisson ; parfumeurs, marchands de bagues et de perles, fleuristes et orfèvres ; cordonniers, bottiers, tailleurs, teinturiers et blanchisseurs. Dans cette foule se coudoient des hommes de toutes les nations qui s'efforcent tous de parler latin.
« Quel spectacle ! pense Varus, c'est pour Rome que l'humanité travaille. » Par les ports et par les routes droites bien pavées, parviennent ici les légumes, les fruits, les vins d'Italie. Ce blé vient d'Afrique du Nord, d'Egypte ou de Gaule ; de Gaule encore ces salaisons, ces lainages, le solide bois de chêne, les fûts de bois et les beaux chars. Voici de l'huile d'Espagne, des dattes du désert.
Oui Rome est la reine du monde. Pour elle, des milliers d'esclaves souffrent et peinent dans le monde entier. Grâce à sa puissance, nous recevons les marbres de Grèce et d'Afrique, les métaux précieux d'Espagne, l'ivoire et le papyrus d'Egypte, l'étain de l'île de Bretagne, l'ambre de la mer Baltique et aussi les tissus et les parfums de l'Orient. Que les dieux sont bons !

L'après-midi

L'après-midi Varus passe au tribunal ; il écoute la plaidoirie d'un avocat cé1èbre puis il se rend. aux Thermes. Il entre dans le plus luxueux des 900 établissements de bains publics de Rome ; cet immense édifice à chauffage souterrain résume tout le luxe de la Rome impériale. C'est le lieu de rendez-vous quotidien de milliers de Romains et l'Empereur lui-même ne dédaigne pas de s'y montrer.
Après s'être échauffé par une partie de balle et une séance de lutte. Varus prend successivement un bain de vapeur, un bain chaud, un bain froid et un massage. Mais il ne s'attarde pas dans les salons, les bibliothèques et le musée de l'établissement. C'est que le préfet du prétoir, chef de la garde impériale offre un grand repas avant son départ pour la frontière et Varus a eu le grand honneur d'y être invité.




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